Plan :
1)
L’action
de regarder (« en
voyant », « remarquer », « voir »,
« attention », « aveugles », « les borgnes », « yeux ») au théâtre : procédé : scène
(passé simple)
2)
Les
objets du regard : procédé : description (vêtements, coiffure,
allure)
3)
Le
jugement : de Lucien : comparaison, évolution des idées (procédé :
monologue intérieur au style direct) ; de Mme de Bargeton (procédé :
analepse et monologue au style indirect libre), vocabulaire dépréciatif et
mélioratif
4)
L’explication
de l’évolution : La réflexion du narrateur : procédé : présent
de vérité générale (description des mœurs)
Au cours de cette scène, le regard des
deux personnages principaux se modifie. Le mot « regard » désigne à
la fois l’action de contempler et le jugement que l’on porte. Ici, il s’agit
des deux. L’action de regarder tient une grande place dans le texte. Le champ
lexical du regard en témoigne. On trouve des verbes (« en voyant »,
« remarquer », « voir ») et des noms
(« attention », « aveugles », « les borgnes », « yeux ») qui le représentent. On
peut remarquer d’ailleurs que la scène se déroule dans une salle de théâtre.
Les gens y viennent autant pour se montrer que pour assister au spectacle. Le
regard de Lucien se porte sur les « Parisiennes » qui se trouvent dans
leur « voisinage » et sur sa protectrice. Son attention se concentre
sur la « toilette » de ces femmes. Il en va de même pour Mme de
Bargeton qui voit les « jeunes gens du balcon » et l’habillement de
son amant. Ce qui se modifie, c’est évidemment le jugement que ces deux
personnages portent l’un sur l’autre. On assiste d’abord à l’évolution du
jugement de Lucien. Celui-ci procède à une comparaison entre « plusieurs
jolies Parisiennes » et Mme de Bargeton. Ainsi, la « coiffure »
de son amie est-elle « comparée aux délicates inventions par lesquelles se
recommandait chaque femme ». L’évolution du jugement est un passage du
positif au négatif. Plusieurs termes évaluatifs le montrent. Les termes qui
s’appliquent aux Parisiennes sont tous mélioratifs : « jolies »,
« élégamment », « fraîchement mises », « délicates
inventions ». Les termes qui s’appliquent à Mme de Bargeton sont tous
négatifs sauf un seul, le verbe « séduire ». Le narrateur nous dit
que la « coiffure » de son amie le « séduisait » à
Angoulème. Mais, à Paris, le jugement devient entièrement négatif comme le
montrent les expressions « vieillerie », « ni les étoffes, ni
les façons, ni les couleurs n’étaient de mode » et « d’un goût
affreux ». Le jugement de Mme de Bargeton connaît le même changement. Le
narrateur emploie le style indirect libre pour nous confier l’avis de cette
femme : « le pauvre poète n’avait point de tournure ». Des
termes péjoratifs s’appliquent à la toilette de Lucien : « manches
trop courtes », « méchants gants », « gilet étriqué »,
ainsi que le mot « ridicule » qui résume l’impression de sa
protectrice. Enfin, le narrateur explique ce changement de regard par deux
phrases qui sont au présent de vérité générale. « En province, dit-il, il
n’y a ni choix ni comparaison à faire ». On voit donc que c’est la
comparaison qui a modifié le regard. Le narrateur nous livre une réflexion sur les
provinciaux qui attribuent « une beauté conventionnelle » à des
femmes qui ne sont plus jugées telles à Paris. Il utilise un
« proverbe » pour montrer l’importance de la comparaison. Le
« royaume des aveugles » correspond à la province et « les
borgnes » désignent Lucien et Mme de Bargeton. Le narrateur veut dire que
les jugements sont relatifs. Ils varient selon le groupe de référence. On voit
donc que l’auteur a recours à différents procédés littéraires pour nous rendre
sensible l’évolution du jugement que Lucien et son amie portent chacun sur la
toilette de l’autre.
Cet extrait nous propose une
représentation de la société de l’époque de Balzac. On note tout d’abord que
seule apparaît ici la classe supérieure. En effet, Mme de Bargeton appartient à
la noblesse comme l’indique la particule. On peut supposer qu’il en est de même
pour Lucien. Il en va de même pour du Châtelet. L’élégance des Parisiennes
signifie que ces femmes ont les moyens de porter de belles tenues et d’aller au
théâtre. Elles font donc partie de la bourgeoisie aisée ou de la noblesse.
Quant aux « jeunes gens du balcon », ils se trouvent dans une galerie
réservée à un public favorisé. On constate ensuite que c’est essentiellement la
toilette qui retient l’attention, « étoffes », « façons »,
« couleurs », « coiffure ». Celle-ci prend évidemment
beaucoup d’importance au théâtre. On voit que dans ce milieu social l’apparence
joue un grand rôle. Elle suffit à rendre quelqu’un « ridicule »,
comme Lucien. Le vêtement et la coiffure sont des signes qui dénotent soit
« un goût affreux » soit de la « tournure » et qui révèlent
le milieu. Ainsi, la différence entre la société provinciale et le monde
parisien se manifeste par la toilette. De ce point de vue, Paris apparaît comme
le centre des élégances, la capitale de la mode. Sur ce plan, la société
parisienne est supérieure à la société de province. C’est ce qu’indique
l’adage, les provinciaux étant considérés comme des « aveugles » et
les Parisiens, donc, comme des voyants. La vue ici signifie le goût. La
supériorité de la grande ville est aussi celle du nombre. Ainsi que le dit le
narrateur, à Paris, pour Lucien, le « cercle s’élargissait, la société
prenait d’autres proportions ». La société qu’il fréquentait à Angoulême
se composait d’un nombre de gens restreint, par son extension elle est bien
inférieure à celle de la capitale. C’est pourquoi, nous dit le narrateur, en
« province il n’y a ni choix ni comparaison à faire ». Dans une ville
moyenne comme Angoulême, le mélange, la diversité, la concurrence n’existent
pas comme à Paris. La supériorité de la capitale se révèle aussi par le
« plaisir qu’éprouv(e) Lucien, en voyant pour la première fois le
spectacle à Paris ». Cela signifie que le théâtre parisien dépasse ce
qu’il a pu voir à Angoulême. Un autre fait montre la supériorité de la grande
ville. Lucien y est gêné par « ses confusions ». Il ne se sent pas à
son aise dans ce nouveau milieu, vraisemblablement parce que ses atouts de
provincial n’y suffisent pas. On voit donc que, dans ce passage, Balzac nous
montre uniquement les couches favorisées. Il peint la société de son temps à
travers deux milieux très différents entre lesquels s’établit une hiérarchie
révélée par le vêtement.
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