Développement
du commentaire de Le Rouge et le Noir de Stendhal, 1830 :
La forme que prend le passage pourrait
s’avérer comme étant surprenante: presque la totalité du texte est un monologue
intérieur relayant les pensées des deux personnages: (espace
avant et après les deux-points) Julien et Mme de Rênal. Cependant, la
seule action qui s’est déroulée au cours de ces cinq paragraphes est une simple
prise de main. On pourrait donc considérer qu’il soit exagéré qu’un acte s’étendant
sur une durée aussi courte fasse l’objet d’un tel discours. Mais la raison pour
laquelle l’auteur a fait le choix d’employer le procédé narratif du monologue
intérieur est qu’il peut ainsi se permettre de commenter la signification de ce
geste, et (dire) quelles en seront les conséquences à travers les pensées du
personnage. Chacune des étapes de la réflexion de Julien sont (est) énoncées, leur séparation sont (est) marquées par la ponctuation
avec des points-virgules ou deux-points. Toutefois, puisqu’il s’agit d’un
monologue intérieur, on retrouve un nombre de caractéristiques associées à ce
procédé. Les idées n’ont pas toujours d’ordre logique et Julien fait un va et vient constant entre surtout deux choses: le mépris
qu’il a connu de la part des nobles et son choix entre Mme de Rênal et Mme Derville.
Entre deux idées s’insèrent parfois des phrases interjectives (exclamatives) comme “Dieu sait
combien elle a eu d’amants!” l.19. Stendhal alterne entre le discours direct: “je
me dois à moi-même d’être son amant” l.6, qui est plus fidèle au monologue intérieur,
et le discours narrativisé (discours indirect, « vit »
signifie « pensa » et la suite donne la pensée qu’a Julien): “Julien
vit qu’il ne fallait pas songer à la conquête de madame Derville” l.15. Même
quand l’auteur fait usage du discours direct, il n’est pas forcément neutre et
réussit à inclure sa propre opinion entre deux moitiés de phrase, comme le
montre l’expression “continua la petite vanité de Julien” l.24. Mais ce qui
peut surprendre est la démarche très stratégique de Julien; il pense tout de suite
à comment (incorrect :
à la manière dont) il pourra utiliser la situation à son avantage. C’est
comme s’il établissait un plan, (comme le montre
l’expression) en “poursuivant la revue de sa position” l.15. À aucun
moment dans le passage il (n’)exprime ses
sentiments qui pourraient éventuellement faire surface dans une telle
circonstance. Au lieu de cela, Julien pense plutôt à ce qu’il devrait
ressentir, comme le montre l’expression “dans ce cas, se dit-il, je dois être
sensible à sa beauté” l.6. S’il s’agissait d’une scène de théâtre, les deux
personnages resteraient probablement silencieux; mais avec ce procédé, leurs
pensées intérieures (redondant) peuvent être partagées avec les lecteurs. C’est aussi un
moyen pour Stendhal de rapprocher Julien des lecteurs: la proximité établie est
si grande qu’ils ont accès à ses réflexions personnelles. Ceci (cela) leur permet de
comprendre ses difficultés et plus précisément son ambition pour une position
sociale plus élevée.
À travers cette situation, Julien espère
tirer un gain personnel qui pourra l’aider à réaliser son ambition. Comme l’on
a déjà vu, l’intérêt romantique qu’il pourrait obtenir n’est jamais mentionné,
seul son désir d’ascension sociale fait l’objet de son discours. Ce qui semble
motiver cette soif de supériorité est la façon dont il a été traité par les
autres. Son ambition ne serait donc peut-être pas seulement pour son
accomplissement sur un plan personnel, mais aussi une occasion pour lui de
prouver aux “nobles si fiers” l.4 sa valeur. L’action de Mme de Rênal
finalement ne l’importe (lui
importe) pas tellement, il aurait nettement préféré qu’il ait des “témoins”.
Plusieurs expressions prouvent son souci par rapport à son image aux yeux de
ses supérieurs. Il est d’abord conscient de la façon dont ils “le regardaient
avec un sourire si protecteur” l.5, avec l’adverbe “si” qui accentue son
impression d’infériorité. Ensuite, il fait la différence entre les deux
portraits séparés de lui selon la vision de Mme Derville et Mme de Rênal. La présence
d’un champs lexical des apparences témoigne ce
souci de la part de Julien de cultiver son image: “regardaient” l.5; “vu” l.10;
“apparu” l.12; “figurait” l.14; “montrait” l.16. Julien se retrouve assimilé
aux enfants, comme le reflète sa place à table: “le bas bout avec les enfants”
l.5, une situation très humiliante. Cette table sert d’outil de différenciation
entre classe sociale,
elle fournit une illustration concrète à (de) l’inégalité
entre personnes en termes de statut social. Enfin, il existe une vraie colère chez Julien, à l’origine
de son désir ardent de revanche. Son ambition, alimentée par son envie de
respect, est son seul espoir pour se retrouver à
(sur) un pied d’égalité avec les autres. Sa
convoitise est si grande qu’il envisage déjà son avenir (comme le montrent les mots) “si jamais je fait fortune” l.25. Ce
qui pousse Julien à “être son amant” l.6 est justement cette possibilité de
vengeance pour ce qu’il a dû subir, son vrai objectif est révélé dans
l’expression: “cette femme ne peut plus me mépriser” l.5. Il s’emporte dans son
mécontentement (c’est
plutôt de la méfiance) dans la seconde moitié du passage, avec des
phrases exclamatives telles que “Dieu sait combien elle a eu d’amants !” l.19,
venant à l’attaque de Mme de Rênal. L’expression “je me dois” apparait à deux
reprises, l.6 et l.24, elle montre la résolution de Julien à (de) se prouver (prouver sa valeur)
aux autres, mais aussi notamment à lui même lors de sa revanche. Tout ce qui
suivra ne sera donc pas du tout dans l’intérêt de Mme de Rênal mais plutôt (dans) le sien, une stratégie pour réaliser son
ambition.
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