Ceux
qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D'abord, -
parce qu'il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a
déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. - S'il ne s'agissait que de cela, la
prison perpétuelle suffirait. A quoi bon la mort ? Vous objectez qu'on peut
s'échapper d'une prison ? faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas
à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ? Pas
de bourreau où le geôlier suffit. Mais, reprend-on, - il faut que la société se
venge, que la société punisse. - Ni l'un, ni l'autre. Se venger est de
l'individu, punir est de Dieu. La société est entre deux. Le châtiment est
au-dessus d'elle, la vengeance est au-dessous. Rien de si grand et de si petit
ne lui sied. Elle ne doit pas "punir pour se venger" ; elle doit
corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des
criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons. Reste la troisième et
dernière raison, la théorie de l'exemple. - Il faut faire des exemples ! il
faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui
seraient tentés de les imiter ! - Voilà bien à peu près textuellement la phrase
éternelle dont tous les réquisitoires des cinq cents parquets de France ne sont
que des variations plus ou moins sonores. Eh bien ! nous nions d'abord qu'il y
ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l'effet qu'on
en attend. Loin d'édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute
sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre
raisonnement si nous voulions en citer.
Le
Dernier jour d’un condamné, préface de 1832.
1) Quelles sont les propositions contenues dans le texte de Hugo ?
2) Lesquelles sont des arguments de Hugo ?
3) Étudiez l'argumentation de Hugo. Comment réfute-t-il les arguments des partisans de la peine de mort ?
Propositions contenues dans le texte de Hugo :
1. La peine de mort est nécessaire.
2. Les criminels doivent être exclus de la société.
3. La prison à perpétuité suffit à les exclure.
4. Les condamnés peuvent s’échapper de prison.
5. Il suffit de mieux les garder.
6. Les ménageries sont fiables.
7. La société doit se venger et punir.
8. La vengeance appartient à l’individu.
9. La punition appartient à Dieu.
10. La société est supérieure à l’individu mais inférieure
à Dieu.
11. Elle doit amender les criminels.
12. La peine de mort sert d’exemple.
13. Elle ne sert pas d’exemple.
Arguments de Hugo :
3, 5, 6, 8, 9, 10, 11 et 13.
Etude du raisonnement de Hugo :
Hugo expose d’abord la thèse des
partisans de la peine de mort. Puis il énonce un à un leurs arguments. Chaque
argument en faveur de la peine de mort fait l’objet d’une réfutation.
Le premier argument est la nécessité de
protéger la société. Hugo admet cette nécessité, mais il pense que la prison
peut à elle seule assurer cette protection. Le deuxième argument est la
nécessité de venger et de punir. Hugo estime que la vengeance et la punition ne
relèvent pas de la société. La première est trop basse, trop passionnelle, la
seconde est trop élevée. Il leur oppose l’amendement du criminel. Le troisième
argument en faveur de la peine capitale est l’exemple. Hugo dénie à ce
châtiment toute valeur exemplaire. En effet, il estime que le spectacle de
cette peine produit un effet inverse. Il endurcit et corrompt les individus qui
y assistent.
Dans sa première réfutation, Hugo ne
critique pas directement l’usage de la peine capitale. Il se contente de nier
sa nécessité. Dans sa deuxième réfutation, il va plus loin. Il remet en cause
la légitimité du châtiment exercé par la société. Cela signifie qu’il ne
considère pas la prison comme une punition mais comme un moyen de réinsérer le
criminel. Dans sa troisième réfutation, Hugo juge la peine de mort sur l’un de
ses effets. Elle a des conséquences néfastes sur la moralité publique. Les
trois arguments de Hugo n’ont pas la même valeur. Le premier revient à dire que
la peine de mort peut être remplacée. Le deuxième est fondamental. Il rend
impossible l’usage de la peine capitale puisque celle-ci supprime toute
réhabilitation du criminel. Le troisième a une moindre importance. Il condamne
la publicité de ce châtiment mais non son usage en soi.
En réfutant les arguments des partisans
de la peine de mort, Hugo nous amène à la conclusion suivante : cette
peine n’est pas justifiée. Elle n’est pas justifiée, d’une part parce qu’elle
n’est pas indispensable, et d’autre part, parce qu’elle est contraire à la
nature de la société. Elle devrait donc être abolie. Telle est la thèse
implicite que défend Hugo.
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