Tentons de montrer comment l’auteur donne dans ce texte une illusion de
réalité. On dit que Maupassant est un auteur réaliste. Le réalisme consiste à
peindre fidèlement la réalité sans l’idéaliser ou la censurer. La réalité est
ce qui existe. Ici, l’auteur emploie plusieurs procédés pour créer cette
illusion. Tout d’abord, il montre le héros en action dans une scène en le
décrivant avec précision au lieu de dire ce qu’il pense de lui. Le narrateur
s’efface derrière la réalité. L’auteur ne dit pas que Duroy est pauvre. Il le
montre concrètement et avec précision grâce au monologue intérieur du
personnage. Il nous met ainsi directement en contact avec la réalité. Au lieu
de nous dire qu’il est un séducteur, il nous montre que les femmes,
« trois petites ouvrières, une maîtresse de musique entre deux âges (…) et
deux bourgeoises avec leurs maris » lèvent « la tête vers lui ».
Au lieu de nous dire qu’il est arrogant, il nous le montre par sa façon
d’avancer « brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules,
poussant les gens pour ne point se déranger de sa route ». Par ailleurs,
la description de Duroy est extrêmement précise comme le montre la mention de
la « pupille toute petite », de la position du chapeau incliné
« légèrement sur l’oreille » ou de la « raie au milieu du
crâne ». Les détails descriptifs ne concernent pas seulement le héros.
Ainsi apprend-on que « la maîtresse de musique », simple figurante,
est « coiffée d’un chapeau toujours poussiéreux et vêtue toujours d’une
robe de travers ». Outre l’effacement du narrateur et la précision
descriptive, l’auteur use aussi d’un procédé réaliste qui est l’absence
d’idéalisation. En effet, il compare son héros « au mauvais sujet des
romans populaires ». Son apparence est donc celle d’un homme qui se
conduit mal. Le réaliste ne gomme pas les défauts. De plus, il traite du peuple
aussi bien que des bourgeois ou des aristocrates et nous voyons ici dans la
« gargote » des représentants de différentes classes sociales. Il y a
« trois petites ouvrières » et « deux bourgeoises ». La
dimension sociale prend une grande place dans le réalisme. On voit aussi
l’importance de l’argent dans cet incipit. Les calculs de Duroy sont rapportés
fidèlement et le prix des consommations et des repas est détaillé avec vérité.
La précision est telle qu’on sait que les repas de midi coûtent
« vingt-deux sous, au lieu de trente que coûtaient ceux du soir ». En
réaliste, l’auteur fournit un témoignage exact qui pourrait servir à un
historien. Enfin, pour renforcer notre illusion de réalité, il donne des noms
propres et des indications spatio-temporelles telles que le « 28
juin » et « la rue Notre-Dame-de-Lorette ». Cette
dernière indication situe la scène à Paris, près de Pigalle. Par la précision
descriptive, l’effacement du narrateur, les repères spatio-temporels et les
données socio-économiques, l’auteur donne donc une impression de réalité. On
croirait avoir affaire à un personnage existant comme la ville où la scène se
déroule, l’argent de l’époque et les différents milieux sociaux. Le lecteur
français de l’époque se trouve immergé dans un monde familier.
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