lundi 15 octobre 2018

Commentaire Manon Lescaut (plan détaillé)


[Le narrateur, le chevalier Des Grieux, âgé de dix-sept ans, s’apprête à quitter Amiens, où il a suivi ses études, pour rentrer chez ses parents.]

J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche (1) d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers (2). Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport (3). J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens. Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer. Elle n'affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu'elle ne prévoyait que trop qu'elle allait être malheureuse, mais que c'était apparemment la volonté du Ciel, puisqu'il ne lui laissait nul moyen de l'éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt, l'ascendant (4) de ma destinée qui m'entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse.

Abbé Prévost, Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut,1731

1.     Grande voiture tirée par des chevaux qui servait au transport des voyageurs.
2.     Paniers où l’on mettait les bagages des voyageurs.
3.     Sentiment passionné.
4.     Influence.

Vous ferez le commentaire de cet extrait. Vous pourriez, par exemple, montrer, d’une part, comment l’auteur exprime la force du sentiment et, d’autre part, comment se manifeste la distance entre le moi du jeune homme et celui du narrateur.



Extrait de Manon Lescaut

1) Expression de la force du sentiment :
Récit 1e personne et Point de vue subjectif
Mot intensif adverbe si « si charmante », « si éclairé »
Ascendant de la jeune fille « charmante », « air charmant de tristesse », « maîtresse de mon cœur »
Champ lexical : « enflammé », « transport », « maîtresse », « cœur » 2, « amour » 2, « désirs », « sentiments »
Métaphore : « enflammé », « coup mortel » périphrase « maîtresse de mon cœur »

Effet du sentiment amoureux : il surmonte l’obstacle de la timidité, il produit un changement psychologique : opposition avec « sagesse » et « retenue », innocence il est « éclairé » avisé, averti, il songe à lui faire la cour
Soudaineté « depuis un moment », « déjà », « un moment », décision rapide (dernière phrase)
Il favorise l’éloquence, il lui inspire des « raisons », des arguments
Caractère irrésistible : « ne me permirent pas » « ascendant de ma destinée » cet amour est décidé par son destin
Il est révolté par la décision des parents "cruelle intention", "coup mortel pour [ses] désirs"


2) distance entre les 2 moi :
Jeune homme 17 ans
Narrateur 22 ans environ
Commentaire du narrateur : adverbe hélas + que et négation regret
Jugement sur la jeune fille « elle était bien plus expérimentée »
Jugement sur lui-même : « J’avais le défaut »
Prolepse : « son penchant au plaisir qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens » et « l'ascendant (4) de ma destinée qui m'entraînait à ma perte »

Commentaire rédigé par un élève : 



Commentaire de texte : Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut






Le texte est extrait du roman « Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut »  écrit au début du XVIIIe siècle par l’Abbé Prévost. Il raconte le souvenir d’une rencontre amoureuse entre le narrateur, le chevalier Des Grieux, âgé de dix sept ans, et une très jeune fille. La rencontre est décrite comme un véritable coup de foudre. Nous allons essayer  d’abord de montrer comment l’auteur exprime la force du sentiment. Il s’agit de montrer quels procédés l’auteur utilise pour exprimer la force du sentiment qui est ici amoureux. Nous verrons ensuite comment se manifeste la distance entre le moi du jeune homme et celui du narrateur. Il s’agit d’étudier la différence entre le point de vue du héros et celui du narrateur qui s’exprime à la première personne du singulier.



Dans cet extrait, le point de vue est subjectif car le narrateur s’exprime à la première personne du singulier. Ce procédé permet de connaître les pensées du personnage et donc ses sentiments. La force du sentiment apparaît d’abord dans la manière dont le héros perçoit la beauté de la jeune femme, soulignée par l’emploi du « si » qui accentue le propos : « elle me parut si charmante… » (L7). Ensuite l’auteur utilise les procédés de la métaphore et de l’hyperbole pour exprimer avec emphase la force du sentiment amoureux du jeune homme : « je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport » (L10). On peut noter qu’il joue sur le contraste entre cette description et le jeune homme dont « tout le monde admirait la sagesse et la retenue ». L’auteur utilise à nouveau une hyperbole pour exprimer toujours avec emphase la manière dont le héros perçoit la jeune femme qu’il appelle par une périphrase : « la maitresse de mon cœur » (L12). Puis il utilise à nouveau une métaphore pour décrire l’influence de l’amour : « l’amour me rendait si éclairé » (L15). On a l’impression que cette phrase est l’opposé du dicton bien connu « l’amour rend aveugle ». On peut noter aussi la répétition des « si », procédé qui a pour objectif d’accentuer le propos comme on l’a vu. Le projet d’envoyer la jeune femme au couvent est présenté de manière tragique comme « un coup mortel pour mes désirs » (L 16). On peut noter qu’il ne s’agit plus là d’amour ou de sentiment amoureux mais de désirs. L’amour est aussi présenté comme une force qui permet de se battre, avec les nombreuses raisons qu’il inspire : « je combattis…par toutes les raisons que mon amour naissant …purent me suggérer » (L20). Enfin, l’auteur montre la force fatale de cet amour par cette allusion : « l’ascendant de ma destinée qui m’entrainait à ma perte » (L24).



Dans le texte, le narrateur raconte son souvenir à la première personne du singulier, ce qui donne un aspect plus vivant au récit. Dans la première partie, il décrit le lieu et le moment de la rencontre de manière réaliste et très précise : « mon départ d’Amiens …Nous vîmes arriver le coche d’Arras… ». La scène de la rencontre est décrite précisément par le narrateur avec un regard extérieur. Puis celui-ci donne un point de vue général sur le héros, sur la manière dont il est vu par les autres : « moi (…) dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue… » (L9) puis « j’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter » (L11). Ensuite, il exprime un point de vue subjectif et intérieur sur son héros, vu par lui-même, et il nous fait partager ce qu’il ressent : « je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport ». A la fin du texte, le narrateur porte un jugement sur cette rencontre qu’il juge tragique avec le recul. Il fait des allusions à ce qui va se passer par la suite et utilise le procédé de la prolepse : « l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte » (L25). La distance entre le narrateur et le personnage est ici celle du temps écoulé. Le narrateur a un regard tragique sur ce qui va se passer et l’amour est présenté comme une fatalité contre laquelle le héros ne peut pas lutter. Cette distance est d’ailleurs présente dès le début du texte quand le narrateur dit : « Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! J’aurais porté chez mon père toute mon innocence » (L2). En exprimant ce regret, il annonce ses malheurs et se démarque du jeune homme innocent. On s’aperçoit que la distance entre le moi du jeune homme et celui du narrateur est présente tout au long tout au long du texte. Elle se révèle dans les jugements que Des Grieux porte sur lui-même et dans les prolepses du début et de la fin.


La manière dont l’auteur exprime la force fatale de la rencontre amoureuse ainsi que la distance entre le regard du narrateur et celui du jeune homme donnent à ce texte un caractère vivant et tragique qui entretient avec beaucoup d’habileté le suspense et l’intérêt du lecteur qui a envie de connaître la suite de cette histoire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire