Ce qui fait l'existence absurde selon Camus c'est qu'elle n'est pas rationnelle. Meursault est l'homme qui "attend de mourir" (Carnets de Camus). C'est la mort et le hasard qui font la vie absurde. La mort, au sens du néant, parce que l'existence est pour rien, elle n'a pas de finalité, elle est gratuite. La raison humaine se heurte à la mort : il n'est pas rationnel que l'on vive pour mourir. La raison voudrait que l'homme ait une dignité : quelle dignité peut avoir ce qui va pourrir et cesser d'être pour l'éternité ? Qu'est-ce qu'une vie de quatre-vingt ans rapportée à l'infini ? A quoi bon aimer, lutter, construire une vie sachant qu'il n'en restera rien ? Autant pisser dans un violon. La raison se heurte au hasard : les événements ont une cause mais si on remonte de cause en cause on arrive à une cause première qui n'a pas de raison. Pourquoi le big bang plutôt qu'autre chose ? Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? Si la vie obéissait à la raison, elle aurait un sens : cette raison serait soit la volonté individuelle, soit la volonté du tout (Dieu par exemple). Or votre vie n'obéit ni à l'une ni à l'autre. Donc elle n'a pas de raison. Le meurtre de Meursault a des causes mais il n'a pas de raison, c'est un hasard. Il s'explique par des coïncidences qui elles ne s'expliquent pas. Tout ça parce qu'il a mangé du boudin avec Raymond. S'il avait refusé de manger du boudin rien ne serait arrivé. On ne voit pas la nécessité de manger du boudin avec son voisin de palier.
Bref, Shakespeare disait tout cela bien avant Camus :
"Life’s but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage
And then is heard no more. It is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing."
"La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite une heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, qui ne signifie rien." (Macbeth, acte V, scène 5)
"Moi, j’avais l’air d’avoir les mains vides. Mais j’étais sûr de moi, sûr
de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait
venir. Oui, je n’avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité
autant qu’elle me tenait. J’avais eu raison, j’avais encore raison,
j’avais toujours raison. J’avais vécu de telle façon et j’aurais pu
vivre de telle autre. J’avais fait ceci et je n’avais pas fait cela. Je
n’avais pas fait telle chose alors que j’avais fait cette autre. Et
après ? C’était comme si j’avais attendu pendant tout le temps cette
minute et cette petite aube où je serais justifié. Rien, rien n’avait
d’importance et je savais bien pourquoi. Lui aussi savait pourquoi. Du
fond de mon avenir, pendant toute cette vie absurde que j’avais menée,
un souffle obscur remontait vers moi à travers des années qui n’étaient
pas encore venues et ce souffle égalisait sur son passage tout ce qu’on
me proposait alors dans les années pas plus réelles que je vivais." (L'Etranger, IIe partie, ch. 5)
A la fin, Meursault affirme que la seule raison est la sienne, sa subjectivité, son existence individuelle face au néant. Il a raison d'être ce qu'il est et de faire ce qu'il a fait car il est unique, personne d'autre ne pouvait faire exactement ce qu'il a fait et mourir comme lui. La seule vérité est celle de son existence particulière. Il ne peut rien affirmer d'autre que sa vie et sa personne, car aucun discours, aucune idée ne peuvent rendre compte de celles-ci. La conscience de la mort prochaine oblige l'individu à se resserrer sur lui-même, à vouloir ce qu'il est et ce qu'il a été comme si c'était absolument nécessaire. Sa mort est nécessaire donc lui il est nécessaire. Tout dans sa vie et sa personne se tient, tout ne fait qu'un bloc face à la mort. La mort nous résume et impose notre unité. Mourir c'est ne faire qu'un avec soi-même.
Meursault s'était apparemment laissé vivre, passivement, sans trop savoir qui il était et sans rien vouloir. A la fin, il fait preuve de volonté. Il veut sa vie et sa mort au lieu de les subir. Il trouve dans sa volonté sa dignité de prisonnier et de condamné. Il s'épouse lui-même. Il trouve au plus près de mourir l'adhésion à soi. Il n'est donc pas absurde, lui, puisque l'absurde est incohérence et que lui est cohérent au point de ne faire qu'un.
L'Etranger c'est l'histoire d'un mec qu'on a mis à l'ombre à cause du soleil.
Meursault s'était apparemment laissé vivre, passivement, sans trop savoir qui il était et sans rien vouloir. A la fin, il fait preuve de volonté. Il veut sa vie et sa mort au lieu de les subir. Il trouve dans sa volonté sa dignité de prisonnier et de condamné. Il s'épouse lui-même. Il trouve au plus près de mourir l'adhésion à soi. Il n'est donc pas absurde, lui, puisque l'absurde est incohérence et que lui est cohérent au point de ne faire qu'un.
L'Etranger c'est l'histoire d'un mec qu'on a mis à l'ombre à cause du soleil.
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