Poème publié pour la première fois en revue en 1846 sous le titre "L'Impénitent", puis sous son titre définitif dans la première édition des Fleurs du mal en 1857.
1) Un tableau romantique
Description ou scène ? On a le passé simple dans la première strophe ("descendit" et "saisit"). Le poème commence donc comme le récit de l'embarquement de Don Juan. Mais dès la strophe 2, tous les verbes sont à l'imparfait. Il n'y a plus de progression de l'action. La scène devient tableau. Cependant dans la dernière strophe, la barque s'éloigne avec Don Juan, le commandeur et le rameur. Il y a donc une progression de l'action qui n'est pas racontée. Le poète ne nous dit pas que Don Juan embarque et que la barque quitte le rivage. L'ellipse semble se situer entre la strophe 4 et la strophe 5. En effet, dans la strophe 4 Elvire est "près de l'époux perfide" alors que dans la dernière strophe Don Juan s'éloigne en regardant le sillage.
Les strophes 2 à 5 montrent des actions en cours (à l'imparfait), le récit devient description des personnages. On a donc un tableau qui rappelle les toiles de Delacroix qu'admirait Baudelaire : La barque de Don Juan et Dante et Virgile. Ce sont des œuvres romantiques. Baudelaire évoque Dante et Virgile dans le Salon de 1846. Dans ce même Salon il donne sa conception du romantisme : "Qui dit romantisme dit art moderne, — c’est-à-dire intimité,
spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimées par tous les
moyens que contiennent les arts." Delacroix est selon lui le peintre romantique par excellence. Il n'y a pas de couleurs dans le poème, on ne trouve que l'adjectif noir : "noir firmament" et "flot noir". De plus, Elvire est en deuil. Le tableau Dante et Virgile est richement coloré mais les zones claires contrastent avec l'arrière-plan sombre dans un effet de clair-obscur. C'est le monde souterrain. On retrouve dans le poème une pareille opposition entre ombre et lumière. En effet, la chair des femmes à demi nues rappelle la chair vivement éclairée des damnés et du rameur du tableau. Le "front blanc" (cheveux blancs) de Don Luis fait une autre tache qui contraste avec les ténèbres. Parmi les damnés du tableau il y a une femme qui se tord. Sa nudité et la torsion des corps peints par Delacroix se retrouvent dans ces vers : "Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes, / Des femmes se tordaient sous le noir firmament". On voit ces mêmes effets de clair-obscur et de corps ployés dans la toile La barque (ou Le naufrage) de Don Juan, toile inspirée par un chant du poème Don Juan de Byron. L'atmosphère dramatique des deux tableaux est aussi celle du poème. Les personnages ont des gestes ou des postures très expressives. Dans le poème les femmes exhibent leur nudité, le valet rit, le père pointe l'index sur son fils, Elvire semble implorer Don Juan qui est ensuite "courbé sur sa rapière" et cette gestuelle contraste avec la raideur du commandeur "tout droit dans son armure". De même, dans Dante et Virgile, on remarque la verticalité de Virgile qui est au centre de la composition. Virgile est le sage, le commandeur est le bras de Dieu. Il y a une forme d'intimité dans le poème dans la mesure où des sentiments prononcés lient étroitement ces personnages. Il y a aussi, pour compléter les caractères romantiques, une forme de spiritualité puisqu'il s'agit du monde souterrain des âmes et que l'attitude de Don Juan, dans la dernière strophe, exprime l'infini de la révolte. « Maturin dans le roman, Byron dans la poésie, Poe dans la poésie et dans le récit
analytique (…) ont projeté des rayons splendides, éblouissants, sur le
Lucifer latent qui est installé dans tout cœur humain. Je veux dire que
l’art moderne a une tendance essentiellement démoniaque. » (L’Art
romantique)
2) Une réécriture de la pièce de Molière
Comme Dante, Baudelaire mêle les éléments antiques aux éléments chrétiens dans cette représentation des enfers. Le pluriel "enfers" se réfère au séjour des morts selon la conception antique. Charon est un personnage de la mythologie que l'on trouve déjà dans la Divine Comédie de Dante. C'est peut-être sous l'influence de Dante que Baudelaire montre Don Juan dans le monde infernal des Grecs ou bien c'est parce que la représentation antique des enfers est plus détaillée et plus pittoresque que celle de l'enfer chrétien. On trouve également une référence à l'antiquité avec la comparaison du pauvre à Antisthène, philosophe grec cynique connu pour son austérité et sa vertu. Mais tous les autres personnages du poème sont tirés de la pièce de Molière. Les personnages les plus importants sont présents. Baudelaire a éliminé les frères d'Elvire, les paysans, M. Dimanche et Gusman. Il a mis en avant les femmes, le père, Elvire, Sganarelle et le commandeur, tous nobles sauf le valet et le mendiant, ils conviennent au ton élevé et tragique du poème. Le comique est presque totalement évincé, il n'en subsiste que le rire de Sganarelle qui réclame ses gages comme dans la pièce. Mais ce rire prend une tonalité plutôt grinçante et ironique dans l'atmosphère sombre créée par le poète. Outre ce rire, Baudelaire a repris la colère du père, la douceur d'Elvire telle qu'elle se présente à l'acte IV, le pauvre et la statue de pierre. Mais il a attribué au pauvre un ressentiment et un désir de vengeance qui ne sont guère chrétiens comme on le voit dans le "bras vengeur" dont il "saisit l'aviron". Il a ajouté également l'impudicité des femmes qui se montrent à demi nues. Leur "mugissement " et leur façon de se tordre témoignent d'une lubricité exacerbée et quasi hystérique, qui est bien dans le goût de Baudelaire. Il a accentué le contraste entre la raideur de la statue et la position courbée de Don Juan, le contraste aussi entre l'indifférence "calme" du héros "qui ne daignait rien voir" et l'agitation des autres personnages qui tous, sauf la statue, par le geste, la voix, le sourire, tentent d'attirer l'attention sur Don Juan ou de Don Juan. Par ce calme, il donne au personnage une grandeur d'âme qui sied au héros romantique réprouvé mais admirable dans sa solitude et son absence de compromission.
Comme Dante, Baudelaire mêle les éléments antiques aux éléments chrétiens dans cette représentation des enfers. Le pluriel "enfers" se réfère au séjour des morts selon la conception antique. Charon est un personnage de la mythologie que l'on trouve déjà dans la Divine Comédie de Dante. C'est peut-être sous l'influence de Dante que Baudelaire montre Don Juan dans le monde infernal des Grecs ou bien c'est parce que la représentation antique des enfers est plus détaillée et plus pittoresque que celle de l'enfer chrétien. On trouve également une référence à l'antiquité avec la comparaison du pauvre à Antisthène, philosophe grec cynique connu pour son austérité et sa vertu. Mais tous les autres personnages du poème sont tirés de la pièce de Molière. Les personnages les plus importants sont présents. Baudelaire a éliminé les frères d'Elvire, les paysans, M. Dimanche et Gusman. Il a mis en avant les femmes, le père, Elvire, Sganarelle et le commandeur, tous nobles sauf le valet et le mendiant, ils conviennent au ton élevé et tragique du poème. Le comique est presque totalement évincé, il n'en subsiste que le rire de Sganarelle qui réclame ses gages comme dans la pièce. Mais ce rire prend une tonalité plutôt grinçante et ironique dans l'atmosphère sombre créée par le poète. Outre ce rire, Baudelaire a repris la colère du père, la douceur d'Elvire telle qu'elle se présente à l'acte IV, le pauvre et la statue de pierre. Mais il a attribué au pauvre un ressentiment et un désir de vengeance qui ne sont guère chrétiens comme on le voit dans le "bras vengeur" dont il "saisit l'aviron". Il a ajouté également l'impudicité des femmes qui se montrent à demi nues. Leur "mugissement " et leur façon de se tordre témoignent d'une lubricité exacerbée et quasi hystérique, qui est bien dans le goût de Baudelaire. Il a accentué le contraste entre la raideur de la statue et la position courbée de Don Juan, le contraste aussi entre l'indifférence "calme" du héros "qui ne daignait rien voir" et l'agitation des autres personnages qui tous, sauf la statue, par le geste, la voix, le sourire, tentent d'attirer l'attention sur Don Juan ou de Don Juan. Par ce calme, il donne au personnage une grandeur d'âme qui sied au héros romantique réprouvé mais admirable dans sa solitude et son absence de compromission.
