jeudi 20 septembre 2018

Plan du commentaire de l'extrait n° 1 du Mythe de Sisyphe

Ce passage est situé dans le chapitre 2 du livre, intitulé "Les murs absurdes". Après avoir examiné la question du suicide dans le chapitre 1 (la vie vaut-elle la peine d'être vécue?) Camus décrit la prise de conscience de l'absurde. Il s'inspire d'un courant philosophique (phénoménologie) qui décrit l'expérience vécue et définit l'intention contenue dans chaque expérience. Un mur est une limitation. En quoi l'absurde est-il une limitation ? Rappelons que

1) L'émergence de l'absurde ou comment l'absurde vient à la conscience :

Donc Camus commence par décrire l'expérience de la répétition qui engendre la "lassitude". Quelle est l'intention présente dans cette expérience?
C'est le désir d'autre chose : soit une chose définie soit simplement "autre chose" pour échapper à l'insatisfaction. En effet, la "lassitude" est l'insatisfaction due au manque de ce qu'on désire.
Il décrit l'expérience du travailleur (ouvrier ou employé) qui prend conscience du caractère lassant, insatisfaisant de son existence. Les efforts qu'accomplit le travailleur le ramènent sans cesse au même point comme Sisyphe. Il ne cesse de dépenser sa force de travail et de la reconstituer. S'il est las, c'est qu'il ne parvient pas à atteindre un bien désirable (le bonheur, le développement de soi, un progrès, le sens de son expérience).
Le désir qui ne trouve pas sa satisfaction immédiate se projette dans l'avenir. L'homme se situe dans le temps (2e paragraphe). Mais, avec la répétition, la ligne temporelle devient une boucle. Sisyphe et le travailleur (ou l'homme du quotidien) sont enfermés dans une boucle temporelle comme une souris dans une roue. Ils prennent conscience du temps : tout ce qui est vécu est aussitôt perdu en devenant passé. Ce qui est fait un jour doit être refait le lendemain (pousser le rocher, gagner de quoi vivre). Le sentiment de la répétition contredit l'espoir et l'attente d'un bien futur. On voit dans le deuxième paragraphe que l'homme apprend à vivre "sur l'avenir" : "demain", "plus tard", comme si la satisfaction de son désir se trouvait dans l'avenir. Mais le travailleur ou Sisyphe sont déçus. L'avenir ne répond pas au désir, le même effort se répète inutilement. Alors ils sont las car ils se sentent trompés. L'avenir est un leurre, la récompense attendue ne vient pas. Il faut continuer à pousser le rocher, à aller au bureau ou à l'usine pour refaire les mêmes gestes. Et la lassitude devient "horreur" du temps et de la mort qui est le fond du temps.

2) L'absurde est le manque de sens :

Ainsi, dans l'insatisfaction répétée, l'homme devient étranger à sa vie. Alors l'homme s'interroge. Il prend du recul. Il s'étonne de l'existence et du monde. Camus parle de "lassitude teintée d'étonnement". Il se souvient ici des mots de Platon qui affirmait (dans le Thééthète) que l'étonnement est le pathos, le sentiment du philosophe et que l'étonnement est l'origine de la philosophie. En s'étonnant, l'homme se demande : pourquoi ? comme le philosophe ou l'enfant qui questionne ses parents. Le "pourquoi?" s'adresse aussi au monde qui est devenu "étranger". Mais justement parce qu'il est étranger le monde ne répond pas, il est "irréductible" à notre conscience, à notre compréhension. Le troisième paragraphe fait écho au "silence éternel des espaces infinis" de Pascal. Cette étrangeté du monde, Camus l'emprunte à Sartre qui la décrit dans un extrait de La Nausée (cf. article La Nausée). Le charme du monde naturel est dissipé : "Au fond de toute beauté gît quelque chose d'inhumain". C'est exactement l'expérience que fait Meursault sur la plage au moment du meurtre. L'hostilité du monde naturel l'angoisse. C'est parce qu'il y a désir de comprendre, de trouver du sens, que le monde qui se tait paraît hostile. Le monde apparaît nu, dépouillé des "figures et des dessins que (...) nous y mettions". Ces "figures" sont, par exemple, les divinités des mythes, les personnifications des poètes ou simplement les sensations qui semblent obéir à notre désir, comme les soirs d'été ou la mer obéissent parfois au désir de Meursault. On voit donc que l'absurde n'est possible que s'il y a un désir de sens qui n'est pas satisfait. 

3) Quelle réponse à l'absurde ?

Camus suggère, de façon très allusive, qu'il faut dépasser la lassitude, l'horreur, l'incompréhension. Il y a deux réponses possibles, dit-il dans le premier paragraphe : le "suicide" ou le "rétablissement." Une fois posée la discordance entre d'une part le désir de sens et d'autre part l'insatisfaction de ce désir, soit l'être humain tombe dans le nihilisme et rejette l'existence soit il recouvre ses forces. Le choix rappelle le monologue de Hamlet. Il est question de "forces (qui) nous manquent" et de "rétablissement". Camus voit dans l'étrangeté au monde et à la vie un épuisement de l'effort, un affaiblissement de la volonté, un mouvement de détachement. Le désir n'a plus assez de force pour user d'un "artifice", d'une illusion de sens. Il ne dit pas ce qu'il entend par "rétablissement". On devine qu'il s'agit de la révolte dont il parle ailleurs. Mais à la fin de l'extrait il évoque la possibilité de "désirer même ce qui nous rend soudain si seuls". Il s'agit alors de vouloir l'absurde, de l'affirmer avec toute la force d'un désir qui renonce à l'impossible accord avec l'existence et avec le monde. Ainsi nous suggère-t-il qu'il faut désirer la limitation et non l'infini, la mort et non l'éternité, l'absence de réponse et non la réponse. Nous sommes prisonniers des murs du temps, de la mort et du monde qui s'opposent à notre désir d'un accord. Il faut prendre son parti de l'absurde, du discordant (absurdus en latin = discordant).


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