Don Juan
Quoi ! tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet
qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on
n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se
piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour
toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à
toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux !
Non, non, la constance n’est bonne que pour des ridicules ;
toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage
d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux
autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos
cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve,
et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous
entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une
belle n’engage point mon âme à faire injustice aux
autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes,
et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature
nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur
à tout ce que je vois d’aimable ; et, dès qu’un beau visage
me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous.
Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes
inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement.
On goûte une douceur extrême à réduire, par cent
hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en
jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre, par des
transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur
d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à
pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à
vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener
doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais
lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni
plus rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et
nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si
quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter
à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête
à faire. Enfin il n’est rien de si doux que de triompher de
la résistance d’une belle personne ; et j’ai, sur ce sujet, l’ambition
des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire
en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes
désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et, comme
Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes pour
y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
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