Dans la scène 1 de l'Acte III, Sganarelle interroge
son maître sur ses croyances. Don Juan ne croit ni au Ciel, ni à l'enfer, ni au
diable ni à l'autre vie. Lorsque le valet lui demande en quoi il croit, il lui
répond : "Je crois que deux et deux sont quatre (...) et que quatre et
quatre sont huit".
Le mot de Don Juan provient d'une anecdote rapportée
par quelques auteurs de l'époque. Dans le manuscrit des Historiettes de
Tallemant on lit :
On conte une chose assez notable de la fin de ce grand
homme [Maurice de Nassau, prince d’Orange, fils de Guillaume le Taciturne,
grand-oncle du roi d’Angleterre Guillaume III]. Étant à l'extrémité, il fit
venir un ministre [un ecclésiastique protestant] et un prêtre et les fit disputer de la religion ; et après
les avoir ouïs assez longtemps : “Je vois bien, dit-il, qu'il n'y a rien de
certain que les mathématiques*” ; et, ayant dit cela, se tourna de l'autre
côté, et expira.
*[Note de Tallemant] On conte d'un prince d'Allemagne,
fort adonné aux mathématiques, qu'interrogé à l'article de la mort par un
confesseur s'il ne croyait pas, etc. : “Nous autres mathématiciens, lui dit-il,
croyons que 2 et 2 font 4, et 4 et 4 font 8.”
Sganarelle lui oppose un argument qui est celui de la
cause première : il faut bien qu'il y ait une cause à l'existence du monde : le
monde, dit-il, "n'est pas un champignon qui soit venu tout seul en une
nuit". Le monde ne peut découler de rien. Il faut selon Sganarelle qu'il y
ait eu ce que Voltaire appellera plus tard un "grand architecte". On
pourrait opposer à Sganarelle qu'une cause de l'existence du monde ne doit pas
nécessairement être un Dieu, un esprit tout-puissant qui le conçoive. Mais
Sganarelle ajoute dans sa tirade qu'il y a "quelque chose d'admirable dans
l'homme", il énumère des organes en s'émerveillant de la complexité
harmonieuse du corps humain. De cet émerveillement on peut tirer l'idée
implicite que seul un être intelligent comme Dieu a pu engendrer quelque chose
d'aussi complexe et harmonieux. Le hasard ne peut avoir produit un corps et un
univers aussi bien organisés. Ce dernier argument est un argument finaliste (il
faut un être capable d'une intention pour arranger les moyens d'atteindre une
fin et l'univers ou l'homme sont le résultat d'un arrangement extrêmement
complexe de moyens). Les deux arguments que l'on peut tirer de la tirade de
Sganarelle sont des arguments philosophiques classiques et bien connus.
Cependant, ces arguments sont très discutables et ils ne convainquent pas Don
Juan qui se moque du raisonnement de son valet.
On voit donc dans cette scène 1
de l'Acte III que Don Juan ne croit pas en Dieu. Certains libertins à l'époque
étaient athées d'autres étaient déistes ou sceptiques. Les athées nient
l'existence de Dieu, les déistes reconnaissent son existence mais n'admettent
aucun des dogmes des religions. Les sceptiques, eux, se refusent à se
prononcer, ils considèrent que le savoir humain ne peut trancher. La position de Don Juan n'est pas claire dans la pièce car il ne répond pas catégoriquement. Il élude la question de Sganarelle : "Est-il possible que vous croyiez point du tout au ciel?" en répondant : "Laissons cela". Il est possible qu'il soit athée mais qu'il préfère ne pas le déclarer explicitement car c'est dangereux. Il se peut aussi qu'il soit sceptique comme l'auteur de la formule selon laquelle rien n'est certain que les mathématiques.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire