mardi 25 septembre 2018

Comprendre Meursault

L’Étranger, c'est l'histoire d'un mec qui avait trop de soleil, alors il a voulu se mettre à l'ombre. 


Vous pouvez déjà réfléchir à ce travail que vous aurez à faire sur L’Étranger

Il s'agit de prendre position de manière argumentée sur les questions suivantes : 

Meursault a-t-il plutôt une personnalité schizoïde ?
Meursault est-il un conformiste ?
La vie consciente de Meursault fait-elle une grande place aux sensations au détriment des sentiments et des idées ?
Meursault cherche-t-il un bonheur simple par le détachement, à la manière d’Épicure ? 



jeudi 20 septembre 2018

Plan du commentaire de l'extrait n° 1 du Mythe de Sisyphe

Ce passage est situé dans le chapitre 2 du livre, intitulé "Les murs absurdes". Après avoir examiné la question du suicide dans le chapitre 1 (la vie vaut-elle la peine d'être vécue?) Camus décrit la prise de conscience de l'absurde. Il s'inspire d'un courant philosophique (phénoménologie) qui décrit l'expérience vécue et définit l'intention contenue dans chaque expérience. Un mur est une limitation. En quoi l'absurde est-il une limitation ? Rappelons que

1) L'émergence de l'absurde ou comment l'absurde vient à la conscience :

Donc Camus commence par décrire l'expérience de la répétition qui engendre la "lassitude". Quelle est l'intention présente dans cette expérience?
C'est le désir d'autre chose : soit une chose définie soit simplement "autre chose" pour échapper à l'insatisfaction. En effet, la "lassitude" est l'insatisfaction due au manque de ce qu'on désire.
Il décrit l'expérience du travailleur (ouvrier ou employé) qui prend conscience du caractère lassant, insatisfaisant de son existence. Les efforts qu'accomplit le travailleur le ramènent sans cesse au même point comme Sisyphe. Il ne cesse de dépenser sa force de travail et de la reconstituer. S'il est las, c'est qu'il ne parvient pas à atteindre un bien désirable (le bonheur, le développement de soi, un progrès, le sens de son expérience).
Le désir qui ne trouve pas sa satisfaction immédiate se projette dans l'avenir. L'homme se situe dans le temps (2e paragraphe). Mais, avec la répétition, la ligne temporelle devient une boucle. Sisyphe et le travailleur (ou l'homme du quotidien) sont enfermés dans une boucle temporelle comme une souris dans une roue. Ils prennent conscience du temps : tout ce qui est vécu est aussitôt perdu en devenant passé. Ce qui est fait un jour doit être refait le lendemain (pousser le rocher, gagner de quoi vivre). Le sentiment de la répétition contredit l'espoir et l'attente d'un bien futur. On voit dans le deuxième paragraphe que l'homme apprend à vivre "sur l'avenir" : "demain", "plus tard", comme si la satisfaction de son désir se trouvait dans l'avenir. Mais le travailleur ou Sisyphe sont déçus. L'avenir ne répond pas au désir, le même effort se répète inutilement. Alors ils sont las car ils se sentent trompés. L'avenir est un leurre, la récompense attendue ne vient pas. Il faut continuer à pousser le rocher, à aller au bureau ou à l'usine pour refaire les mêmes gestes. Et la lassitude devient "horreur" du temps et de la mort qui est le fond du temps.

2) L'absurde est le manque de sens :

Ainsi, dans l'insatisfaction répétée, l'homme devient étranger à sa vie. Alors l'homme s'interroge. Il prend du recul. Il s'étonne de l'existence et du monde. Camus parle de "lassitude teintée d'étonnement". Il se souvient ici des mots de Platon qui affirmait (dans le Thééthète) que l'étonnement est le pathos, le sentiment du philosophe et que l'étonnement est l'origine de la philosophie. En s'étonnant, l'homme se demande : pourquoi ? comme le philosophe ou l'enfant qui questionne ses parents. Le "pourquoi?" s'adresse aussi au monde qui est devenu "étranger". Mais justement parce qu'il est étranger le monde ne répond pas, il est "irréductible" à notre conscience, à notre compréhension. Le troisième paragraphe fait écho au "silence éternel des espaces infinis" de Pascal. Cette étrangeté du monde, Camus l'emprunte à Sartre qui la décrit dans un extrait de La Nausée (cf. article La Nausée). Le charme du monde naturel est dissipé : "Au fond de toute beauté gît quelque chose d'inhumain". C'est exactement l'expérience que fait Meursault sur la plage au moment du meurtre. L'hostilité du monde naturel l'angoisse. C'est parce qu'il y a désir de comprendre, de trouver du sens, que le monde qui se tait paraît hostile. Le monde apparaît nu, dépouillé des "figures et des dessins que (...) nous y mettions". Ces "figures" sont, par exemple, les divinités des mythes, les personnifications des poètes ou simplement les sensations qui semblent obéir à notre désir, comme les soirs d'été ou la mer obéissent parfois au désir de Meursault. On voit donc que l'absurde n'est possible que s'il y a un désir de sens qui n'est pas satisfait. 

3) Quelle réponse à l'absurde ?

Camus suggère, de façon très allusive, qu'il faut dépasser la lassitude, l'horreur, l'incompréhension. Il y a deux réponses possibles, dit-il dans le premier paragraphe : le "suicide" ou le "rétablissement." Une fois posée la discordance entre d'une part le désir de sens et d'autre part l'insatisfaction de ce désir, soit l'être humain tombe dans le nihilisme et rejette l'existence soit il recouvre ses forces. Le choix rappelle le monologue de Hamlet. Il est question de "forces (qui) nous manquent" et de "rétablissement". Camus voit dans l'étrangeté au monde et à la vie un épuisement de l'effort, un affaiblissement de la volonté, un mouvement de détachement. Le désir n'a plus assez de force pour user d'un "artifice", d'une illusion de sens. Il ne dit pas ce qu'il entend par "rétablissement". On devine qu'il s'agit de la révolte dont il parle ailleurs. Mais à la fin de l'extrait il évoque la possibilité de "désirer même ce qui nous rend soudain si seuls". Il s'agit alors de vouloir l'absurde, de l'affirmer avec toute la force d'un désir qui renonce à l'impossible accord avec l'existence et avec le monde. Ainsi nous suggère-t-il qu'il faut désirer la limitation et non l'infini, la mort et non l'éternité, l'absence de réponse et non la réponse. Nous sommes prisonniers des murs du temps, de la mort et du monde qui s'opposent à notre désir d'un accord. Il faut prendre son parti de l'absurde, du discordant (absurdus en latin = discordant).


dimanche 2 septembre 2018

L'Egalité : Assommons les pauvres


Baudelaire, « Assommons les pauvres », Le Spleen de Paris, 1869.

 

Premier axe : l'argumentation :

1) Il y a apparemment deux thèses : « Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve » et « celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir ».

Première thèse :

Expliquez et discutez la thèse de Baudelaire.

Cette affirmation est problématique : problème de son sens, problème de sa vérité

égalité : similitude

égalité des droits (propriété, sécurité, liberté, résistance à l’oppression)

égalité juridique : face à la loi

égalité politique : droit d’accéder aux mêmes emplois publics, droit de vote

égalité sociale : égalité des chances et distinction suivant le mérite

Si l’égalité doit être prouvée, elle n’est pas donnée à la naissance. Elle n’est pas une relation entre des individus considérés uniquement en tant qu’hommes et citoyens.

Elle est une relation entre des individus considérés dans leur particularité du point de vue de la nature ou du point de vue social. Différence de force, de capacité ou différence de condition sociale et de fortune.

Il s’agit, selon cette phrase, d’une égalité qui doit être reconnue par l’autre. Ce n’est donc pas l’égalité des droits que détermine la loi. C’est une égalité entre deux individus et non entre tous les hommes, une égalité particulière et non universelle. Si l’on met de côté l’égalité des droits et l’égalité des chances, il reste à mesurer l’effort, le mérite, l’utilité sociale.

Ou bien Baudelaire veut-il dire que l’égalité de droit doit être défendue par chacun car elle est souvent menacée.

Baudelaire veut dire que l'égalité naturelle (égalité des droits) ne suffit pas à rendre tous les hommes réellement égaux dans la société. Pour que cette égalité de droit soit une égalité de fait, il faut que l'individu prenne conscience de ses droits et les défende (soit par le discours soit par les actes). Par exemple, malgré l'égalité naturelle, le peuple français est soumis à la dictature de Napoléon III et les pauvres sont soumis aux riches. Il faut donc que le peuple défende ses droits face au pouvoir qui ne les reconnaît pas. Il faut que les pauvres travailleurs défendent leurs droits face aux riches propriétaires. La loi naturelle de l'égalité ne s'impose pas à tous les hommes (bien que ceux-ci soient raisonnables), il faut la faire respecter par la force.

 

Deuxième thèse :

 

Il faut distinguer entre la liberté de droit (droit naturel) et la liberté de fait (application du droit naturel dans une société). Le droit à la liberté n'est pas toujours respecté par le pouvoir et par les autres. Les lois d'un pays ne sont pas forcément conformes à la loi naturelle. Il y a des lois liberticides. Il y a aussi des individus qui portent atteinte à votre liberté. Donc chaque peuple doit conquérir sa liberté et la défendre. Chaque individu doit faire respecter sa liberté individuelle.

Etre digne de la liberté signifie la mériter en la conquérant. Il ne s’agit donc pas d’une liberté qui appartiendrait à tout homme du seul fait de son humanité. Il ne s’agit pas du libre arbitre ou de la suspension du déterminisme. Baudelaire parle-t-il ici de la liberté en tant que pouvoir de ne se laisser déterminer par rien d’étranger à la volonté ? Il faudrait alors que l’homme résiste à toute contrainte, qu’elle soit extérieure ou intérieure.

 

Les deux thèses peuvent se réduire à la première car l'égalité implique la liberté. En effet, si tous les hommes ne sont pas libres alors ils ne sont pas tous égaux.

 

2) Quel est le rapport entre la thèse et l'anecdote du mendiant?

Baudelaire a l'air de faire une expérience pour prouver qu'il a raison, (comme un "philosophe qui vérifie l'excellence de sa théorie") mais son expérience  ne prouve rien. Ce n'est pas une vérification de sa thèse, ce n'est qu'une illustration. Ce n'est pas une vérification parce que le résultat dépend de Baudelaire. Si le mendiant ne réplique pas, Baudelaire ne donnera pas la moitié de sa bourse et donc ils ne seront pas égaux. Si le mendiant réplique, Baudelaire donnera la moitié de sa bourse et donc ils seront à égalité. C'est Baudelaire (l'expérimentateur) qui a décidé d'avance du résultat de l'expérience. L'expérience est faussée car le sujet de l’expérimentation est en même temps l’objet.

Rapport à l’expérience : celle-ci ne prouve rien. Il faudrait répéter l’expérience et déterminer toutes les conditions. S’il tombait sur un mendiant sans force physique.

Il a créé une situation qui correspond à sa thèse. Mais il ne peut prévoir la réaction du mendiant et encore moins la sienne. Ici le sujet de l’expérimentation est en même temps l’objet.

Elle indique une égalité de droit (sécurité) puisque Baudelaire vérifie qu’aucun agent ne peut le voir. Si l’on ne tient pas compte de cette égalité de droit, il reste une inégalité créée par l’agression qui donne une supériorité à Baudelaire. Mais la réplique du mendiant manifeste une égalité de volonté et de force. C’est une égalité de fait.

Mais il y a une inégalité de droit qui subsiste puisque le vieillard est dans son droit et non Baudelaire.

La loi est une preuve de l’égalité de droit entre les hommes. Quant à l’égalité sociale, elle implique en effet que chaque homme soit distingué selon son mérite.

 

Deuxième axe :

Il y a une histoire et des personnages donc c'est un récit.

Récit au passé (passé simple) avec un sommaire (quinze jours) et une scène (rencontre du mendiant).

Ce récit est un apologue (histoire illustrant une vérité générale, comme une fable).

La vérité c'est : Si un homme le prouve, alors il est l'égal des autres.

Particularité de cet apologue : le désir de vérifier cette vérité générale est ce qui fait agir le héros : c'est comme si le renard voulait vérifier que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute.

C'est un  récit comique :

Satire des philosophes de l'époque qui traitent de politique : § 1 et § 2 ("formules de bonne femme")

Comique de gestes avec la bagarre (hyperboles amusantes), c'est burlesque.

Comique de mots : hyperboles, oxymore ("regard de haine (...) de bon augure"), antiphrase ("énergique médication" = agression), comparaison avec les cuisiniers qui attendrissent un bifteck.

Humour : le poète se moque de lui-même : il prétend mériter un "brevet de folie" signé par deux médecins, il vérifie prudemment qu'il n'y a pas d'agent dans les parages, il se compare à un philosophe du Portique (stoïcien : indifférence à la souffrance), il dit que son démon est supérieur à celui de Socrate.

 

 

samedi 1 septembre 2018

L'absurde


Extrait : L’absurde (Le Mythe de Sisyphe, 1942)

 

  Il arrive que les décors s'écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'étonnement. « Commence », ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d'une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l'éveille et elle provoque la suite. La suite, c'est le retour inconscient dans la chaîne, ou c'est l'éveil définitif. Au bout de l'éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement. En soi, la lassitude a quelque chose d'écœurant. Ici je dois conclure qu'elle est bonne. Car tout commence par la conscience et rien ne vaut que par elle. Ces remarques n'ont rien d'original. Mais elles sont évidentes : cela suffit pour un temps, à l'occasion d'une reconnaissance sommaire dans les origines de l'absurde. Le simple « souci » est à l'origine de tout.

  De même et pour tous les jours d'une vie sans éclat, le temps nous porte. Mais un moment vient toujours où il faut le porter. Nous vivons sur l'avenir : « demain », « plus tard », « quand tu auras une situation », « avec l'âge tu comprendras ». Ces inconséquences sont admirables, car enfin il s'agit de mourir. Un jour vient pourtant et l'homme constate ou dit qu'il a trente ans. Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il se situe par rapport au temps. Il y prend sa place. Il reconnaît qu'il est à un certain moment d'une courbe qu'il confesse devoir parcourir. Il appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Demain, il souhaitait demain, quand tout lui-même aurait dû s'y refuser. Cette révolte de la chair, c'est l'absurde.

  Un degré plus bas et voici l'étrangeté : s'apercevoir que le monde est « épais », entrevoir à quel point une pierre est étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la nature, un paysage peut nous nier. Au fond de toute beauté gît quelque chose d'inhumain et ces collines, la douceur du ciel, ces dessins d'arbres, voici qu'à la minute même, ils perdent le sens illusoire dont nous les revêtions, désormais plus lointains qu'un paradis perdu. L'hostilité primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous. Pour une seconde, nous ne le comprenons plus puisque pendant des siècles nous n'avons compris en lui que les figures et les dessins que préalablement nous y mettions, puisque désormais les forces nous manquent pour user de cet artifice. Le monde nous échappe puisqu'il redevient lui-même. Ces décors masqués par l'habitude redeviennent ce qu'ils sont. Ils s'éloignent de nous. De même qu'il est des jours où, sous le visage familier d'une femme, on retrouve comme une étrangère celle qu'on avait aimée il y a des mois ou des années, peut-être allons-nous désirer même ce qui nous rend soudain si seuls. Mais le temps n'est pas encore venu. Une seule chose : cette épaisseur et cette étrangeté du monde, c'est l'absurde.

 

1. Dans le premier paragraphe, comment est décrite l'existence humaine ? Quelle question permet à l'homme de prendre conscience de l'absurdité de la vie ? Quelle peut être la réaction de l'homme face à cette prise de conscience ?

2. Comment naît le sentiment de l'Absurde dans le second paragraphe ?

3. Dans le troisième paragraphe, pourquoi l'homme peut-il se sentir étranger au monde ? D'où naît ici le sentiment de l'Absurde ?


L'Absurde


           Dans le langage courant, ce mot désigne ce qui n'a pas de sens (par exemple, une décision absurde). Ce concept a été défini par Camus dans Le Mythe de Sisyphe (1942), repris dans L'Etranger (1942), puis au théâtre dans Caligula et Le Malentendu (1944).

           L'absurde commence avec la prise de conscience du caractère machinal de l'existence et de la certitude de la mort à venir au bout d'une vie où le temps fait succéder inexorablement chaque jour l'un à l'autre (« Sous l'éclairage mortel de cette destinée, l'inutilité apparaît. Aucune morale, aucun effort ne sont a priori justifiables devant les sanglantes mathématiques de notre condition »). L'absurde naît aussi de l'étrangeté du monde qui existe sans l'homme et qu'il ne peut véritablement comprendre.

           L’absurde est ainsi la conséquence de la confrontation de l’homme avec un monde qu'il ne comprend pas et qui est incapable de donner un sens à sa vie (« Ce divorce entre l'homme et sa vie, l'acteur et son décor, c'est proprement le sentiment de l'absurdité. »)

 

L'existence humaine est-elle comme un morceau de liège qui flotte, dérive, erre au gré des courants du hasard? Ou bien a-t-elle un arrimage? Pour beaucoup de gens, Dieu est son arrimage, il donne une valeur à l'existence, un sens. D'où le succès de l'idée de Dieu et de la religion. Autre chose que Dieu peut-il donner un sens à l'existence? On ne voit pas comment on pourrait arrimer la vie humaine à l'humanité et à son avenir. Celle-ci existe depuis environ deux millions et demi d'années, ce qui est bien peu en regard de la durée de l'univers. Et combien de temps encore l'humanité existera-t-elle, personne ne peut le savoir. On ne peut donc arrimer la vie humaine à une chose aussi incertaine où le hasard a tant de part. A quoi rime donc la vie humaine s'il n'y a pas de Dieu, ainsi que le pensent Camus et Meursault? La vie de chaque être humain semble faite essentiellement pour la reproduction qui implique la naissance, le développement et la mort. Mais la reproduction donne-t-elle un sens? C'est très douteux. Imaginez une chaise dont on vous dirait qu'elle est faite pour se dupliquer et se détruire ensuite, et ainsi de chaise en chaise devenant différente à chaque duplication, trouveriez-vous qu'une telle chaise aurait du sens? Sans doute que non. L'absurde, pour Camus, est l'absence de réponse au questionnement de l'homme sur le sens. L'homme, pense-t-il, a besoin de cohérence, de rationalité, de sens et il interroge l'existence et le monde, un peu comme l'enfant qui va de pourquoi en pourquoi. Et qu'obtient-il comme réponse? "Le silence éternel des espaces infinis" comme dirait Pascal. De ce silence éternel Pascal dit dans les Pensées qu'il l'effraie. Cette frayeur fait penser à l'angoisse qu'éprouve Meursault face au soleil quand il dit : "Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu." L'angoisse est liée à l'absurde car elle est confrontée à l'incohérence. C'est pour cette raison que le monde des romans de Kafka, qui ont influencé Camus, est angoissant. Si le monde dans lequel vous vivez perd sa cohérence alors vous avez le sentiment angoissant de perdre vos repères. Cette perte de repères devant la désorganisation du monde quotidien peut non seulement couper la personne du monde mais aussi des autres hommes. Sur la plage brûlante de soleil, on voit Meursault subir un état de panique qui amène le premier coup de feu. Mais à d'autres moments il nous confie le sentiment agréable que lui donnent les soirs ou les nuits d'été, le ciel, la lumière. « Dans l’obscurité de ma prison roulante, j’ai retrouvé un à un, comme du fond de ma fatigue, tous les bruits familiers d’une ville que j’aimais et d’une certaine heure où il m’arrivait de me sentir content. Le cri des vendeurs de journaux dans l’air déjà détendu, les derniers oiseaux dans le square, l’appel des marchands de sandwiches, la plainte des tramways dans les hauts tournants de la ville et cette rumeur du ciel avant que la nuit bascule sur le port, tout cela recomposait pour moi un itinéraire d’aveugle, que je connaissais bien avant d’entrer en prison. Oui, c’était l’heure où, il y avait bien longtemps, je me sentais content. » (IIe partie, chapitre 3)



L'Etranger : préface de l'édition américaine


J'ai résumé L'Etranger, il y a très longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale : Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort. Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l'on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple, il refuse de mentir. Mentir, ce n'est pas seulement dire ce qui n'est pas. C'est aussi, c'est surtout dire plus que ce qui est et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu'on ne sent. C'est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la vie. Meursault, contrairement aux apparences, ne veut pas simplifier la vie. Il dit ce qu'il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt la société se sent menacée. On lui demande par exemple de dire qu'il regrette son crime, selon la formule consacrée. Il répond qu'il éprouve à cet égard plus d'ennui que de regret véritable. Et cette nuance le condamne. Meursault pour moi n'est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d'ombre. Loin d'être privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace, l'anime, la passion de l'absolu et de la vérité. Il s'agit d'une vérité encore négative, la vérité d'être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi ne sera jamais possible. On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans L'Etranger l'histoire d'un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité.

 

Camus, Préface de l’édition universitaire américaine de L’Etranger, 1955.

 

Cette plaidoirie de Camus vous convainc-t-elle ? Argumentez.

 

https://textualites.wordpress.com/2015/05/13/letranger-et-lautre-meursault-contre-enquete/ 



L'Etranger : au tribunal


Résumé des épisodes précédents :

-         Annonce de la mort de sa mère / Enterrement

-         Rencontre avec Marie

-         Rencontre avec Salamano et Raymond Sintès / Problème maîtresse

-         Bain avec Marie

-         Intervention de la police chez Raymond

-         Discussion avec Salamano

-         Proposition de son patron

-         Demande en mariage de Marie

-         Dialogue avec Salamano

-         Déjeuner chez Masson / Meurtre

-         Arrestation / Juge d’instruction

-         Vie en prison

-         Audition des témoins

-         Plaidoirie / Réquisitoire

 

2 paragraphes : 1er : La conclusion du réquisitoire

                            2e : Bref interrogatoire de Meursault

 

Problématique : Comment l’absurde se révèle-t-il dans cette scène ?

 

1er Axe : Comment se développe la rhétorique du procureur et de la société ?

2e Axe : Le décalage entre les représentants de la justice et de la société et  Meursault

 

II  Développement :

1er Axe :

 

Procureur:

Procureur de la République : avocat général représentant la société, chargé de l’accusation et prononçant  un réquisitoire.

1er § :

- propos du procureur au style indirect « que ».

- puis au style direct

- donner de l’importance à ses propos.

- montrer comment la rhétorique sociale va écraser Meursault qui ne sait manier les armes de la rhétorique.

- Camus veut nous montrer et nous dégoûter de cette rhétorique absurde.

- Absurde pourquoi ?

- Trois  arguments utilisés par le procureur, montre l’absurdité de cette scène et du procureur.

 

1) Absurdité de la thèse de la préméditation (Discours du Procureur)

- 1er raisonnement du Procureur:

- Il part d’un postulat (évidence non prouvée) > être humain a forcément des sentiments.

- Or Meursault  > aucun sentiment.

- Donc Meursault n’est pas humain > personne schizoïde.

- Ce raisonnement est un syllogisme > Raisonnement déductif formé de 2 propositions et une conclusion déduite du rapprochement des 2 propositions.

- Conclusion fausse, car hypothèse 1, non démontrée.

- Donc 2e raisonnement :

- Meursault > pas de sentiment

- Donc ne peut pas avoir commis ce crime sous l’impulsion de sentiments.

- Pourquoi a-t-il tué ?

- Le procureur en déduit que son crime a été prémédité.

- raisonnement implicite > prouver que Meursault a prémédité son crime.

- Meursault n’avait aucun motif de tuer cet arabe > Meurtre sans mobile = impossible.

- 2 types de mobile (= cause) :

 - mobile affectif > sentiment

 - motif > mobile rationnel, raison calculée

 

2) Grandiloquence des procédés

- Grandiloquence : Trouver des bons arguments (art du discours, manière solennelle) :

- Les phrases longues : «…» (Dernière du réquisitoire)

- Les phrases rythmées (croissante et décroissante) : «…» (Dernière du réquisitoire)

- 6/10/10/7/10/9/10/6/8/7/10

- L’emploi d’un lexique soutenu : « impérieux, sacré » > champ lexical de la religion

                                                            « Rien que de ».

- Emploi de figures de style : oxymore > « pénible devoir », « cœur léger »

                                              Hyperbole > « horreur », « monstrueux », « jamais ».

 

3) Arguments douteux

- Dans sa rhétorique > procureur ajoute 2 grands arguments :

- Sensibilité du procureur.

- Demander la peine de mort > devoir pénible > il le fait le cœur léger pour Meursault.

- Argument comparatif.

- Déjà demandé la mort > là il n’a aucun scrupule.

- Rien ne prouve que ce soit vrai  > mais cela convainc le jury.

 

2e Axe :

 

- Dialogue raconté au style indirect.

- Montre l’incompréhension de Meursault vis-à-vis du procureur et des autres.

 

1) Décalage entre Meursault et les autres Personnages

- Décalage :

- Entre lui et les autres > avec « étonnement » > marque l’importance de la sensation.

- L’étonnement de Meursault par rapport à la violence du procureur

 

- Dans le dialogue (dialogue de sourd) > Président questionne Meursault.

- Meursault dit : « je n’ai pas eu l’intention de tuer l’arabe ».

- Par rapport au rang social :

- Le président s’exprime avec des expressions du monde de droit : « système de défense »

= organisé sa défense > il faut raisonner, construire, enchaîner les idées

> Meursault est sincère, il veut dire la vérité > ne peut pas élaborer un système de défense.

 

- Pour ça Il faudrait qu’il manipule les évènements :

- Mis sa main au revolver

- Brûlure du soleil

- Goutte de sueur

- Il faudrait ensuite manipuler des raisons, échafauder un plan mais on s’échappe de la réalité.

- Président utilise du vocabulaire judiciaire : « motif »

> motif : raison d’agir d’ordre intellectuel.

> motif = argument donc pas de sensation, d’émotion.

 

- Réponse de Meursault et réaction du public

Meursault donne un mobile = cause physique (soleil)

> rire du public et de l’avocat

III  Conclusion :

- Dans cette scène, l’absurde se révèle :

- Dans la discordance entre : discours du procureur / attitude de Meursault.

> Procureur utilise rhétorique pompeuse pour accabler Meursault > les paroles font rire.

> Meursault totalement décalé par rapport à l’appareil judiciaire et au public > on a l’impression  qu’il n’appartient pas au même monde que les autres.

- L’absurde est dans l’opposition entre :

- Un individu qui refuse le mensonge

- La société qui l’écrase sous le mépris ou la haine.